samedi 2 juin 2012

Chapitre 29


« Puisque je vous dis que c'est urgent ! Je dois voir Maradu tout de suite !
    • Désolé, apprenti. Notre chef est très occupé et il ne peut pas recevoir tout le monde comme ça. Je peux éventuellement lui faire passer un message.
    • Non, c'est une affaire personnelle.
    • Tu peux toujours prendre rendez-vous. Une place est libre dans... cinq semaines.
    • C'est urgent ! Il en va de... oh, et puis laissez tomber. »
J'éteins brusquement mon ordinateur, coupant la communication visuelle avec le Maître. Déplorable, on ne peut joindre directement le leader d'Anuva, il faut obligatoirement passer par un supérieur hiérarchique.
On frappe à ma porte, je prends le temps de me calmer, puis j'ouvre. C'est Darnu.
« Hey ! Paraît que Sarantu et Nasartu reviendront pas ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
    • C'est... les Migono, …
    • Quoi ? Ils se sont fait buter par ces salauds ? 'tain, m'en vais leur cogner des...
    • Non, non, ils sont en vie, c'est que...
    • Ils sont prisonniers ? J'croyais qu'y avait que Sarantu qu'était mal ! Faut faire un truc, là !
    • Non, ils ont démissionné !
    • 'tends, tu me fais marcher là, s'pas possible ! Pourquoi ils sont partis ?
    • Je sais pas, je sais plus...
    • Au fait, chuis venu pour dire qu'faut qu'on rencontre notre nouveau Chevalier. Viens, on en parle en marchant.
    • Non, faut que je réfléchisse...
    • Démissionne pas toi non plus ! T'es mon seul pote !
    • Ouais, j'avoue, ça marche pas trop sur Terre en ce moment, j'préfère être ici, parce que z'êtes les seuls à me causer...
    • Désolé, faut que j'y aille. Salut. »
Désemparé, aucune envie de parler, je coupe la conversation, de manière peu élégante, mais j'ai une brusque envie de me poser et de réfléchir.

Sur Terre, je retrouve Marc.
« Alors, cet entretien ?
    • Maradu était pas dispo. Faut prendre un rendez-vous dans cinq semaines, ou faire passer le message...
    • J'en étais sûr. Un tyran se livre pas au loup comme ça.
    • J'ai même pas donné de détails, j'ai juste dit que c'était urgent. Il avait aucune raison de me craindre.
    • Alors, c'est qu'il est pas disponible en général. Va savoir pourquoi, il a pourtant délégué toutes ses responsabilités à plein de conseils. C'est pas la vie sur Anuva qui doit l'épuiser.
    • Il a peut-être une vie sur Terre chargée.
    • Au point de pas pouvoir dégager cinq minutes dans une journée pour relever les nouvelles de sa création ? Même les mecs surchargés au boulot sont capables de se donner un peu de temps libre, ne serait-ce qu'une minute piochée dans leur temps de sommeil au pire des cas. Cinq semaines pour avoir un entretien exclusif, c'est un peu gros. M'est d'avis qu'il règne bien en despote sur Anuva et qu'il n'est plus prêt à écouter ses recrues, parce que son ego est assez satisfait, rien qu'en sachant qu'il berne autant de gens.
    • je crois que je vais aussi faire une pause loin d'Anuva. La semaine prochaine, j'ai un rencard. Si ça réussit, je retourne chez les Mikava et je considérerai que ma formation est une réussite, malgré tous les points négatifs qui ont été évoqués.
    • On ne peut pas nier l'évidence si longtemps. Combien de gens sont malheureux sur Terre, en ce moment ? Les Mikava se comptent par dizaines de milliers, mais les gens malheureux par dizaines de millions. Sache aussi qu'on ne nous a jamais communiqué le nombre de démissionnaires et d'échecs chez les Mikava. Il peut être bien plus élevé que ce que l'on croît. Si tu réussis ta formation, tu seras un privilégié à la chance énorme, et encore, ce n'est pas garanti que ton bonheur sera durable...
    • Au diable les illusions et risques d'échecs ! J'ai envie de vivre sans me préoccuper de l'avenir ! Tant pis si je finis par échouer, j'aurai essayé !
    • Oui, mais... L'échec est parfois dur à supporter. Beaucoup de gens se donnent la mort aujourd'hui à cause des échecs. S'ils n'avaient rien tenté, il ne se seraient pas exposés à un risque futile et seraient encore en vie aujourd'hui... ou seraient morts peu après.
    • Faut que je fasse une sieste, j'ai besoin de réfléchir...
    • Repose-toi, calme tes esprits. Ne fais rien cette semaine, je m'occupe de tout le boulot. Réfléchis au sujet de ton rencard, et fais le bon choix.
    • Merci, Marc. Je sais pas ce que je ferais sans toi.
    • De rien, ça me fait plaisir de t'aider.
    • faudra bien que je te rembourse un jour, pour tout ce que tu fais.
    • Ça peut attendre, voyons ! »
Puis il s'éloigne, en marmonnant quelque chose que je ne parviens pas à entendre. Pas grave, et je me dirige à mon tour vers la chambre, espérant récupérer au mieux.

La semaine est passée, sans accroc majeur. Malheureusement, je ne suis pas parvenu à trouver un bon argument pour défendre les Mikava. Qu'importe, je suis devant la salle de spectacles où le concert à lieu, à attendre...
« Salut, Igor !
    • Salut, Blanche.
    • Ça va ?
    • Oui oui, et toi ?
    • Bien, très bien.
    • C'est cool.
    • Bon, on entre ?
    • Oui, allons-y.
Conversation molle, provoquée sous l'effet du trac. On entre malgré tout dans la salle. Le concert commence dans cinq minutes.
    • Je te sens tendu, t'es sûr que ça va ?
    • J'ai des amis qui ont des problèmes... mais on est pas là pour parler de ça, ne gâchons pas la soirée.
    • Ah... »
L'ambiance se fait froide. Je n'aurais peut-être pas dû être si brusque. Mais l'artiste vient d'entrer sur scène, accompagné de deux autres musiciens. Tous trois jouent pendant environ trois quarts d'heure, alternant morceaux calmes, et pistes dynamiques jouées aux synthétiseurs et rythmes.

Le concert se termine, nous sortons de la salle. La pluie s'est intensifiée.
« C'était pas mal du tout, j'ai adoré, et toi ?
    • Oui, c'était assez sympa, tu as bien choisi le concert.
    • Je savais que ça te plairait. »
Nous sommes face à face, plus personne n'ose parler, bouger. Nos corps se changent peu à peu en serpillières. Elle me sourit, je lui souris, elle se rapproche de moi, éloigne ses lèvres l'une de l'autre, je fais de même, mon cœur s'accélère, nos lèvres se toucheront dans quelques secondes, je ferme les yeux, je revois tout ce qui s'est produit depuis des semaines, l'arrivée de Sarantu dans ma chambre, ma visite d'Anuva, mes entraînements aux armes, mes séances de coaching avec Faclastu, Garatu, Nasartu, Darnu, mes moments partagés avec Marc, ma visite d'Obero, ma mère, mon père, mon frère, Wolfgang, mes combats contre des Migono, tous ces morts, cette pluie.
La voix de Thierry résonne, ''nous sommes humains après tout'', tout s'accélère, puis j'ouvre les yeux... tout est soudain si calme, l'atmosphère a changé, je suis couché sur le lit que j'avais chez mes parents.

Je réalise. Pour être certain de ce qui m'arrive, je tente d'ouvrir une porte vers Anuva, sans succès. J'entends les voix de mes parents de l'autre côté de la porte.

Non...

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